Autophagie d’un deuil

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De retour six ans après le surestimé «Jusqu’à la garde», son premier film, Xavier Legrand renoue avec les mécaniques scéniques qui ont forgé son précédent succès : dérouler un récit à mi-chemin entre la chronique familiale et le thriller psychologique en l’organisant grossièrement autour du cœur de son cinéma, le suspense.

D’origine canadienne, Ellias s’installe en France pour accomplir son rêve : devenir le créateur d’une célèbre maison de Haute Couture. Peu de temps après son premier défilé, une tragédie frappe le jeune adulte : son père, avec lequel il est en froid depuis plusieurs années, est violemment frappé d’une crise cardiaque. Ellias retourne alors à Montréal pour gérer la succession sans se douter du pire : au sous-sol de sa maison, le père cache un lourd secret.

À l’époque de «Jusqu’à la garde», la presse avait été quasiment unanime : le choc dont beaucoup parlaient témoignait d’une puissance dramatique obsessionnellement éreintante. Obsessionnel, oui, car le film en réalité relevait d’un programme exclusif : ménager une tension et la faire durer, patiemment, pour finalement la faire éclore dans l’accouchement d’une violence souterraine.

Avec «Le Successeur», il faut le dire, Xavier Legrand reprend la formule tout en la tordant légèrement pour mieux correspondre à ses ambitions de grand cinéma de genre. Cette fois-ci, le scénario n’identifie plus la menace dès son ouverture – le père inquiétant que campait Denis Ménochet dans Jusqu’à la garde – mais repose inversement sur un mystère à résoudre, qui plane continûment au-dessus de la tête d’Ellias. Aux antipodes du jeu monocorde de Dénis MénochetMarc-André Grondin livre une performance (sur)expressive, dont l’interprétation trop volontariste le conduit souvent à surjouer. Pas franchement étonnant, ce manque de justesse ne fait que confirmer les difficultés du cinéaste – déjà entrevues dans son premier long-métrage – à diriger ses troupes.

Aussi, Xavier Legrand adopte une mise en scène tapageuse, qui souligne trop lourdement la part horrifique d’un scénario qu’il a pourtant coécrit avec la dramaturge Dominick Parenteau-Lebeuf d’après une nouvelle d’Alexandre Postel. Le sous-sol, exemplairement, tient lieu de premier clignotant signifiant : par le décor, signaler, non sans lourdeur didactique, ses ambitions anxiogènes en répétant un motif qui, de «Psychose» à «Parasite», évoque le pathologique.

À court d’idées pour le faire émerger de façon retorse, le réalisateur accumule les signes habituels de ce genre de production : la bande son ne cesse de dissoner alors que cadrage fait de chaque personnage un monstre en puissance ; le récit démultiplie les leurres et autres fausses pistes tandis que le montage dévoile sans honte le contenu suggestif du hors-champ. Aveuglé, sans doute, par son désir de ménager du suspense, Xavier Legrand nous impose en somme son dispositif boulimique. À force d’afficher son trop grand appétit de cinéma de genre, le réalisateur contraint son spectateur à régurgiter tous les ingrédients de ce spectacle autophage.

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