Mauvais jusqu’à l’exploit

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Francis Ford Coppola a hypothéqué une partie de son vignoble et investi de sa fortune personnelle quelque 120 millions US pour produire son plus récent film, Megalopolis. Le naufrage est titanesque. Voilà une critique de la grandiloquence qui est elle-même grandiloquente. Un pensum écologique terriblement nouvel-âgeux, dans la forme comme le fond.

Fable sur le destin des États-Unis à la veille d’une nouvelle élection présidentielle avec Donald Trump, métaphore appuyée de la chute de l’Empire romain, Megalopolis est campé dans une mégalopole futuriste, New Rome (New York avec un Madison Square Garden transformé en Colisée).

À la fois péplum de science-fiction, dystopie politique et tragédie shakespearienne, le premier film du cinéaste du Parrain depuis 2011 met en vedette Adam Driver dans le rôle d’un brillantissime architecte nommé César Catilina. Lauréat d’un prix Nobel grâce à son invention du megalon, un matériau aux propriétés révolutionnaires, César récite Hamlet, pérore beaucoup, boit encore plus dans son appartement du sommet du Chrysler Building et semble s’embrouiller lui-même dans ses aphorismes vaseux.

Sa maîtresse (Aubrey Plaza) est une croqueuse de diamants archétypale, son oncle (Jon Voight), un milliardaire influençable, son cousin cupide (Shia LaBeouf) le jalouse maladivement, sa mère (Talia Shire, sœur du cinéaste) lui en veut, le maire de New Rome, Francis Cicéron (Giancarlo Esposito), le déteste, et la fille du maire, la jet-setteuse Julia (Nathalie Emmanuel), l’intrigue.

On ne comprend pas les intentions de cette brochette de personnages, esquissés de manière si caricaturale qu’il est impossible de s’y attacher. César est-il un pygmalion mégalomane, comme le décrit le maire, ou un utopiste qui souhaite des conditions de vie idéales pour ses concitoyens ? Le maire Cicéron est-il motivé par le bien commun ou un élu corrompu ? Pourquoi sa fille Julia, présentée comme une Paris Hilton à la dérive, devient-elle soudainement un monument de sagesse et de conscience sociale ?

Et que viennent faire dans cette bouillie Jason Schwartzman, neveu du cinéaste, ou Dustin Hoffman, sinon de la figuration ? Malgré un deuxième visionnement cette semaine, je ne saurais offrir de réponse claire à ces questions, tant le scénario sans queue ni tête de Coppola semble changer de ligne directrice au gré du vent. J’oubliais presque : César a le pouvoir de suspendre le temps d’un claquement de doigts. Pas que ce détail soit de quelque secours à l’intrigue.

Grotesque farce

Megalopolis, une succession de scènes sans grand lien ni intérêt, s’apparente à un accident de char romain. C’est à la fois un exercice de style froid et cérébral de 2 h 18 min sur le génie humain et une satire d’un kitsch consommé sur la société de consommation et le culte de la célébrité. Un party de toge boursouflé qui multiplie les clins d’œil insistants à la mythologie romaine et propose des bacchanales qui sonnent faux.

PHOTO FOURNIE PAR LIONSGATE

Aubrey Plaza incarne Wow Platinum dans Megalopolis.

Le traitement cartoonesque de la mise en scène se rapproche davantage du film de superhéros à la Batman and Robin, de Dick Tracy de Warren Beatty ou d’une production de théâtre filmé sur Broadway qu’à n’importe quelle œuvre de la filmographie de Francis Coppola.

Le vénérable cinéaste de 85 ans exploite mal les moyens technologiques d’aujourd’hui, au service d’une vision d’une autre époque. Écrans divisés, fondus enchaînés, effets spéciaux d’une laideur absolue. Les nombreuses scènes de manifestations ont l’air d’avoir été tournées dans des décors en carton-pâte avec deux douzaines de figurants. On se demande où les dizaines de millions investis par Coppola ont disparu.

Son film confus, sans direction claire, est une grotesque farce, dont on ne jurerait pas que l’humour est toujours volontaire. On ne peut qu’espérer, Coppola étant un monument du septième art, que cette extravagante entreprise mégalomane deviendra à terme un succès culte psychotronique. Parce qu’il n’y a pas à dire, Megalopolis est tellement mauvais que cela relève pratiquement de l’exploit.

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